L’Enga ou le symbole d’un État galvaudant ses ressources
Alors que le niveau des lacs monte un peu partout, que les pluies de mars prennent tout le monde au dépourvu et mettent aux abois des familles dans différentes zones du pays, l’École nationale de géologie appliquée (Enga) est plongée dans l’oubli et livrée à elle-même.
Fondée en 1978 par décret présidentiel, cette école est la seule du pays qui forme des professionnels en géomécanique, en océanographie, minéralogie et en géologie. Des ressources humaines, des compétences techniques vitales pour le pays, vu l’énormité des problèmes environnentaux qui se posent à Haïti actuellement, selon Emmanuel Molière, directeur de l’École nationale de Géologie appliquée (Enga).
«Ces disciplines regroupées sous le terme générique de Sciences de la terre ont des réponses aux problèmes de l’environnement local et même des pistes d’exploration par rapport aux projets que se donne le gouvernement. La question de l’aménagement du territoire est un exemple. Nous avons également une discipline comme l’Écologie marine qui est importante pour Haïti comme pays insulaire », explique Emmanuel Molière.
«Quand l’école a été créée en 1978, elle avait pour mission essentielle de former des techniciens pour l’exploration et l’exploitation des mines, notamment celles du département du Nord, poursuit Emmanuel Molière. Mais à partir des années 1990, l’école a élargi son champ de compétences. Nous offrons quatre filières. Sur les problèmes environnementaux, nous nous attelons à donner des explications scientifiques, mais aussi à proposer des pistes de solutions. Par exemple, dans un document soumis au ministre de l’Environnement, nous avons analysé la montée des lacs, un phénomène inquiétant ».
Malgré son importance pour le pays, l’École nationale de géologie (Enga) est abandonnée à elle-même. Les murs de l’établissement construit sur un sol argileux et mouvant sont fissurés et même des pans de la toiture se sont écroulés. Ce qui fait craindre un imminent effondrement.Les responsables de Enga avaient entrepris, dans les années 90, de construire un établissement qui tienne compte de la spécificité du sol.
Mais le projet s’est arrêté à michemin. Aujourd’hui, des flaques d’eau et des herbes folles ont commencé à coloniser cette construction inachevée qui devait accueillir une salle de conférence, un laboratoire, des salles de classe et des bureaux administratifs.Le laboratoire a tout l’air d’un musée saccagé par une armée ennemie. La plupart des solutions chimiques sont avariées, les matériels prévus pour les travaux de granulométrie, le four…sont aujourd’hui hors d’usage.
«Moi, j’arrive toujours ici le cœur battant car, un jour ou l’autre, l’établissement tombera. Le laboratoire ne fonctionne pas. Ce sont les travaux pratiques dans leur ensemble qu’il est difficile de réaliser ici. Notre bus est en panne. Quand on nous donne 50 000 gourdes pour louer un bus à 30 000 gourdes, le peu qui reste ne peut pas nourrir les étudiants et étudiantes. L’année dernière, nous avons organisé quatre sorties. Mais, c’est largement insuffisant. Quand nous avions les moyens, nous organisions une sortie chaque samedi, ce qui fait environ 52 séances de travaux pratiques sans oublier les camps de terrain où nous passions, sept, huit jours à explorer un espace physique déterminé. Mais nous n’avons plus les moyens de poursuivre sur le terrain la formation de nos étudiants », se désole le directeur de l’établissement.
Aucune enveloppe n’est prévue pour l’Enga dans le Budget national. Relevant du ministère de l’Éducation nationale, l’école bénéficie d’une maigre subvention de l’Institut national de la formation professionnelle (INFP), laquelle ne couvre que le salaire des professeurs et du personnel administratif.
« Nous ne pouvons pas avoir de projets de recherche. Actuellement, nous offrons un diplôme de géologue technicien supérieur. Nous ne pouvons pas offrir ce qu’on appelle un LMD, c’est-à-dire la licence, la maîtrise et le doctorat. Cependant, nous avons un staff professoral compétent dont le niveau de diplôme minimal est la maîtrise », soutient Emmanuel Molière.
« En 1999, nous avons soumis un document de réorganisation de l’école aux autorités. Il est sans cesse remanié et réadapté en fonction du contexte social ; le dernier date de février 2008 et a été adressé aux autorités compétentes. Dans ce document, il est question de transformer l’Enga en une institution autonome, disposant donc de son budget validé par le Parlement. Et aussi nous voulons changer le cycle d’études pour qu’il atteigne la maîtrise, voire le doctorat.
Car, souvent nous recevons des offres de bourses d’études émanant de différents pays. Mais nos étudiants ne peuvent pas postuler, non pas parce qu’ils n’ont pas le niveau, mais tout simplement parce que le niveau de diplôme décerné ne les habilite pas à le faire. Ce sont des jeunes pleins de talents que nous sacrifions et aussi des solutions aux problèmes que nous tuons dans l’œuf », soutient Emmanuel Molière.
Par Natacha Clergé, Le Matin vendredi 20 mars 2009
vendredi 20 mars 2009
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