mercredi 25 février 2009

HAITI / RESTITUTION FONDS DUVALIER

« Derrière la montagne il y a d’autres montagnes »

Déclaration conjointe de la Plate-forme haïtienne de Plaidoyer pour un Développement Alternatif (PAPDA), de la Plate-forme des Organisations Haïtiennes de Défense des Droits Humains (POHDH), du Groupe d’Appui aux Réfugiés et Rapatriés (GARR) et du Réseau National de Défense des Droits Humains (RNDDH)

Document soumis à www.reshinfo.blogspot.com le 18 février 2009

Nous avons appris avec satisfaction que le 12 février dernier le Gouvernement fédéral de la Suisse a décidé de restituer à notre pays un montant de 7.6 millions de francs suisses réclamés par Jean Claude Duvalier et gelés depuis 7 ans.

Nous accueillons cette nouvelle avec satisfaction. Il s’agit sans aucun doute d’une grande victoire de tous ceux et de toutes celles qui luttent contre l’impunité et les crimes économiques. C’est incontestablement un pas dans la bonne direction dans notre combat pour la restitution des biens mal acquis. Mais rappelons que les structures financières internationales continuent à alimenter les réseaux de l’économie criminelle et garantissent l’impunité aux criminels notamment à travers le mécanisme honteux des paradis fiscaux.

Les organisations signataires de la présente déclaration ont adopté les résolutions suivantes : Nous saluons la restitution des 7.6 millions de francs suisses à l’État haïtien.

Nous recommandons de maintenir la vigilance sur ce dossier parce que la famille des Duvalier peut faire obstruction à l’exécution de cette décision au cours des 30 prochains jours. Les organisations haïtiennes de même que les nombreux réseaux de solidarité latino-américains et européens doivent maintenir la pression sur les autorités helvétiques.

Nous devons poursuivre la mobilisation pour retrouver tous les fonds détournés des caisses de l’État haïtien par les Duvalier mais aussi au cours des 23 dernières années par des dirigeants sans scrupules. Ces avoirs doivent être intégralement restitués au Peuple haïtien.

Nous devons nous mobiliser aussi contre le paiement de la dette externe et exiger que les fonds budgétisés pour le paiement de cette dette notamment pour l’exercice 2008 – 2009 soient réinvestis dans des priorités sociales (alphabétisation, éducation, santé, justice)
Nous devons nous mobiliser pour exiger le non-paiement de la dette externe mais aussi pour la réalisation d’un audit intégral du processus d’endettement de notre pays au cours des 40 dernières années.

La restitution obtenue aujourd’hui grâce à la mobilisation des campagnes anti-dette doit être l’occasion de continuer un combat plus important et plus structurel pour la restitution des fonds volés à Haïti incluant la rançon de l’indépendance touchée par la France, les avoirs en or de la Banque Nationale volés par les marines américains en décembre 1914 et ouvrir tout un processus de réparation des spoliations et pillages dont a été victime notre pays au cours de 517 ans de colonisation, de néocolonialisme et de domination impérialiste.

Nous recommandons que ces fonds soient intégralement remis à l’État haïtien. Nous rejetons la proposition contenue dans la déclaration publiée par le Bureau fédéral de Justice de la Confédération helvétique le 12 février affirmant que des « ONG qui détiennent une certaine expérience » dans le domaine humanitaire et dans celui des interventions sociales pourraient être considérées comme bénéficiaires de ces fonds.

Nous nous prononçons contre cette option. Les fonds doivent être acheminés intégralement au Trésor Public. Maintenant les organisations sociales haïtiennes devront exercer une fonction de vigilance de même que le Parlement de notre pays. Nous devons mettre en garde les dirigeants de notre pays. Ces fonds ne doivent en aucun cas être gaspillés.

Ces valeurs restituées en dépit de leur caractère limité devraient avoir une fonction pédagogique et inciter davantage le Peuple haïtien à poursuivre inlassablement son combat pour la justice et les réparations. En ce sens nous suggérons que les 7.6 millions de francs suisses soient consacrés à financer le processus de relance de la réforme agraire seul capable d’assurer une relance de la production et construire la route vers la souveraineté alimentaire. Le dossier de la réforme agraire ne semble pas figurer à l’agenda des autorités actuelles mais il constitue, à notre avis, un pas indispensable dans le cadre de la mise en place de tout projet de reconstruction économique guidé par des principes de justice.
Une lutte internationale.

Nous tenons à remercier solennellement tous ceux et toutes celles qui ont contribué à ce résultat. La liste est longue, citons rapidement Jubilée Sud Amérique qui dès le mois de juin 2007 obtenait des centaines de signatures provenant de tous les pays de l’Amérique Latine protestant contre la décision des autorités helvétiques de restituer ces fonds à Jean Claude Duvalier. Le prix Nobel de la Paix argentin, Adolfo Perez Esquivel, s’est présenté à l’Ambassade de Suisse à Buenos Aires pour demander l’arrêt de la procédure de paiement des fonds à Jean Claude Duvalier.

Saluons également la mobilisation exemplaire des réseaux d’organisations européennes solidaires d’Haïti (Collectif Haïti de France, le CCFD, le CADTM France, le CADTM Belgique, le CADTM Suisse, Haïti Support Group de Londres, Jubilee debt campaign de la Grande Bretagne, Haiti Advocacy Platform Ireland-UK, Christian Aid, la CoEH [1], etc..) dont l’intérêt permanent pour ce dossier a empêché qu’il ne sombre dans l’oubli.

Saluons aussi la mobilisation exemplaire, la ténacité et la qualité du travail de lobbying et de documentation effectué par les camarades du CADTM Belgique et une large coalition d’organisations et de réseaux Suisses. Citons notamment Action de Carême, Action Place Financière Suisse, Déclaration de Berne, Pain pour le Prochain, Plate-Forme Haïti de Suisse (PFHS), Transparency International Suisse, TRIAL.

Il nous faut signaler aussi l’effet déterminant des procédures judiciaires lancées avec courage et détermination contre les Duvalier par des haïtiens résidant en France (Gérald Bloncourt entre autres) et aux États-Unis. Ces procédures ont permis d’étayer les accusations de crimes contre l’humanité et de violations systématiques des droits humains perpétrées massivement par la dictature des Duvalier contre le Peuple haïtien.

Derrière la montagne il y a d’autres montagnes

Cependant cette victoire concernant seulement 7. 6 millions de francs suisses laisse un gout amer à la bouche quand nous analysons les longues années perdues pour obtenir cette restitution maigre et partielle. Rappelons que ce montant a été gelé par les autorités suisses depuis l’année 2002 et aurait été remboursé à Jean Claude Duvalier en juin 2007 n’était-ce la vigoureuse intervention des campagnes anti-dette.

En février 1986 lors de son renversement on estimait que les Duvalier avaient détourné des caisses de l’État 800 à 900 millions de dollars US. Cette somme était déjà nettement supérieure ou comparable à la dette publique externe totale réclamée à Haïti qui atteignait 800 millions de dollars US à cette époque. L’Office des Nations unies contre la drogue et le crime évalue les fonds détournés par les Duvalier dans une fourchette comprise entre 500 millions $ et 2 milliards $ [2].

Il faut que le Peuple haïtien sache que les sommes qui seront restituées à l’État haïtien représentent une infime partie tout à fait dérisoire comparée à la taille des fonds détournés.
L’empire des Duvalier. Sans vouloir fournir tous les éléments rappelons que de nombreux comptes bancaires appartenant aux Duvaliers et/ou à ses proches avaient été identifiés en Suisse, au Luxembourg, au Royaume-Uni (notamment à l’île de Jersey) et aux Etats-Unis.

Les Duvalier possédaient aussi de nombreuses et luxueuses résidences notamment en France, le château de Théméricourt (Val d’Oise), un appartement au 56 avenue Foch à Paris, deux appartements à Neuilly, un 240m² dans le 16ème à Paris, à New York, un appartement situé dans le Trump Tower, sur la 5e Avenue à Manhattan, un luxueux yacht, le Niki, à Miami. … etc. Un « executive order » du Gouvernement américain a permis de saisir le yacht, l’appartement de New York et 200.000,00 $ US placés sur un compte en banque à la Irving Trust [3].

Les Duvalier ont bénéficié de la protection continue des autorités françaises et de nombreux autres Gouvernements et toutes les procédures judiciaires n’ont jamais abouti alors que pour son séjour en territoire français, Jean Claude Duvalier ne détient même pas du titre formel d’exilé.

Les Duvaliers ont bénéficié aussi de la complicité des auteurs du coup d’État du 30 septembre 1991 qui avaient suspendu toutes les poursuites légales entamées en 1986/87. D’autre part 116 millions de dollars US placés à la Banque Centrale en Haïti ont pu être récupérés en 1986/87 [4]. Cette institution décrit dans un rapport rigoureux avec un luxe de détails les procédés utilisés par la famille des Duvalier pour saigner à blanc le Trésor Public notamment à travers les « œuvres de bienfaisance » de Michèle Bennett.

Un audit sérieux, approfondi et transparent est nécessaire

Nous devons donc continuer les recherches et retrouver ces richesses volées au Peuple haïtien. Nous devons souligner qu’il est déplorable de constater que l’architecture financière actuelle et les pays qui se désignent pompeusement comme « amis d’Haïti » soient éminemment complices des criminels. Notamment à travers le mécanisme des paradis fiscaux qui doivent être impérativement abolis comme le demandent de nombreuses voix dans le cadre des réformes à entreprendre face à la crise financière et économique mondiale actuelle.

Depuis 1986 pourrons nous jamais calculer la quantité d’enfants morts de malnutrition, la quantité de femmes qui ont perdu la vie pendant l’accouchement, combien d’enfants ont été privés de la possibilité de se scolariser à cause de l’indisponibilité de ces fonds pendant 23 ans ? Comment seront réparés ces crimes abominables et comment payer cette énorme dette sociale accumulée envers les couches pauvres de notre pays ?

Nous devons continuer à rechercher ces fonds afin de les mettre au service des actions de développement en Haïti. Cette recherche est d’autant plus importante que nous savons qu’au cours des 23 dernières années la corruption a continué à gangrener l’Administration publique haïtienne et les détournements de fonds se sont poursuivis.

C’est pour cela que les organisations signataires de cette déclaration mènent depuis quelques années une campagne en faveur d’un audit rigoureux de l’ensemble du processus d’endettement de notre pays au cours des 40 dernières années qui a été largement entaché d’illégalité et de procédures frauduleuses. Seul un audit sérieux, approfondi et transparent, accompagné d’une forte mobilisation citoyenne permettra de faire le jour sur le dossier de la dette publique externe réclamée à notre pays.

Un audit réalisé récemment en Équateur a permis de démontrer que plus de 60% de la dette externe publique réclamée à ce pays était d’origine frauduleuse et se situait en claire violation des normes internationales et de la Constitution du pays. Le Gouvernement de Rafael Correa est en train de mettre en place un processus de répudiation et de non paiement de cette dette illégale et illégitime.

Le dossier du remboursement entamé par la Suisse le 12 février doit soulever notre indignation collective quand nous savons qu’une grande partie de la dette réclamée à Haïti (environ 32 %) a été contractée avant 1986. Ce qui signifie que la population la plus appauvrie de l’hémisphère est en train de rembourser des sommes détournées au profit de fortunes personnelles.
Les belles paroles sur un allègement de la dette.

Alors que les IFIS[5] orchestrent une tapageuse propagande autour de l’allègement de la dette externe d’Haïti la réalité est toute autre. On parle beaucoup de réduction et d’allègement de la dette d’Haïti depuis que notre pays a été intégré au club des PPTE [6] en mars 2006. En réalité la dette externe publique de notre pays continue à augmenter et rapidement. Alors qu’en 2005 le stock de notre dette publique externe atteignait 1.3 milliards de dollars US celui-ci est passé à 1.85 milliards à la fin de l’exercice 2008 expérimentant une augmentation de l’ordre de 20% entre 2007 et 2008 [7].

Curieux allègement !! Pis encore alors que dans le cadre de l’ échéancier du Programme PPTE (Point de décision atteint en septembre 2007) le point d’achèvement devant donner lieu à une réduction significative du montant de la dette était programmé pour le dernier trimestre de l’année 2008. Quelle n’a pas été notre surprise d’apprendre de la bouche du Président de la Banque Mondiale, Monsieur Robert Zoellick, en visite en Haïti en novembre 2008 en pleine catastrophe post-cyclonique, que le point d’achèvement avait été reporté pour juin 2009.

Alors que beaucoup de documents savants sont en train d’être produits sur la dette de notre pays, celle-ci continue à augmenter et la population, qui fait face actuellement à une grave crise d’insécurité alimentaire affectant plus de 3 millions de personnes, se voit contraint de verser plus de 1 millions de dollars US chaque semaine au titre du service de la dette. Ce scandale ne doit plus durer.

Camille Chalmers, Directeur Exécutif de la PAPDA
Antonal Mortimé, Secrétaire Exécutif de la POHDH
Colette Lespinasse, Directrice du GARR Pierre Espérance, Directeur du RNDDH

[1] Coordination Europe Haïti. La COEH est une coordination qui rassemble un groupe important d’ONGs européennes travaillant en Haïti

[2] Voir le document publié à Vienne en septembre 2004 par la UNODC intitulé « The anti-corruption toolkit »

[3] On peut consulter avec intérêt l’excellent rapport publié en mars 2007 par la Direction des Études et du Plaidoyer du CCFD, intitulé : « Biens mal acquis… profitent trop souvent La fortune des dictateurs et les complaisances occidentales »

[4] On peut consulter avec intérêt le rapport présenté par le Gouverneur de la Banque Centrale, Monsieur O. Millet le 15 Janvier 1987 expliquant en détail les mécanismes de détournements utilisés avec la photocopie des pièces originelles (chèques et ordres de virement) conservés dans les archives de la BRH. Les montants des transferts effectués vers des Banques Suisses sont clairement retracés.

[5] Institutions Financières Internationales (IFIS)

[6] Pays pauvres très endettés (PPTE) traduction correspondant au HIPC (Highly Indebted Poor countries)

[7] Voir notamment l’article de l’économiste Kesner Pharel, intitulé : « Faibles performances de l’économie haïtienne en 2008 » publié par le Journal Le Matin du 5 janvier 3009 dans lequel celui-ci affirmait : « L’encours de la dette a accusé une progression de près de 20% durant le dernier exercice, passant de 1 milliard et 564 millions de dollars américains en octobre 2007 à 1 milliard et 852 millions de dollars »

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